dimanche 19 août 2007

Où en est la recherche ?

Catherine Bailhache : Juste une chose. Emmanuel, quand je vous pose la question depuis déjà un moment…

Emmanuel Burdeau : … à laquelle je n’ai pas vraiment répondu.

Catherine Bailhache : Oui, je vois bien que vous ne me répondez pas. Mais ça m’est égal, on sortira les pieds devant de cette affaire, ce n’est pas grave.

Je voulais simplement vous dire que là, vous m’apprenez quelque chose. Je ne pensais pas que ma question s’inscrivait obligatoirement à vos yeux dans la réflexion telle que vous la posez ici. Même si j’ai déjà compris depuis quelque temps, par d’autres biais, que vous meniez une telle réflexion.

OK.

L’héritage des Cahiers, tel que vous l’avez décrit me paraît non seulement un héritage intéressant – donc si demain il s’agissait de l’abandonner, ce serait à prendre avec grande précaution –, mais de surcroît me paraît être un héritage que, dans un sens, je connais à un autre niveau. J’adresse cette remarque ici, notamment, aux quelques exploitants qui sont dans la salle.

Nous sommes les mêmes qui depuis déjà une trentaine d’années pour les plus anciens d’entre nous, sommes aussi là-dessus, sur ce type d’héritage ! C’est-à-dire que nous aussi, dans l’art et essai ou la recherche, avons affirmé de façon délibérée à une époque, au moment ou les UGC et autres Gaumont, ont commencé à créer les complexes, dans les années 70-80 – bien avant qu’on ne parle de multiplexes –, ce type de raisonnement sur le cinéma en général.

Les salles d’art et essai étaient quasiment toutes à l’époque des mono-écrans et, au moment précis de la naissance des complexes, offraient des programmations très spécifiques, ciblées, pointues diraient certains, issues du ciné-club, avec des films dont beaucoup par ailleurs se trouvaient devenir populaires. Le choix qui a alors été pris par la plupart d’entre nous, celui donc qui l’a emporté dans beaucoup de cas il y a trente ans, a été de dire : « Non, on ne veut pas continuer comme ça… on va profiter de l’opportunité qui s’offre ici pour, nous aussi, à notre tour, se doter chaque fois que cela sera possible de plusieurs écrans ; ainsi nous sortirons du principe de ghetto (mot très galvaudé à l’époque), ça permettra d’englober le cinéma que nous défendons dans le cinéma en général.

On pourrait croire que les même raisons qui avaient motivé les grands circuits à concevoir la notion de complexes cinématographiques avaient poussé ces salles d’art et d’essai et de recherche à s’y mettre. Pas du tout : dans le premier cas de figure, il s’agissait ouvertement uniquement de raisons industrielles, dans le deuxième, les raisons en étaient celles-là, englober les films que nous soutenions plus particulièrement dans le tout cinéma. Avec des bagarres en interne sur les limites acceptables de cette démarche : aujourd’hui ces bagarres on toujours lieu, elles se traduisent par le fait de s’interroger sur le bien-fondé de l’inscription de Spiderman III en VO dans le cadre d’une programmation recherche par exemple, avec quelquefois des limites ou des frontières qu’on pourrait qualifier d’un peu trop élastiques, peut-être. En tout cas, l’idée c’était de dire : « Le cinéma ne se pense pas, ne s’aborde pas, ne se conçoit pas, ne se transmet pas qu’à partir de certains films » – hors de question de se situer du côté du « On prend ceux-là et on ne prend pas le reste ».

Nous avons cela en commun avec la critique dans un sens. Et d’ailleurs, la question sur l’héritage, telle que vous la posez, c’est-à-dire continuer d’être là-dedans, ou au contraire renoncer à cela pour aller risquer quelque chose de sans doute moins généreux et possiblement beaucoup plus dangereux, cela, c’est une interrogation qui nous est très familière parce que nous avons le même problème.

Reste la vraie question quand même, c’est qu’on meurt étouffé sous cet héritage à force d’être dans tout. Que tout soit dans tout. De voir la démarche qu’on mène confondue avec celle du mauvais tout-venant, c’est-à-dire de ces gens qui font de la pub et qui eux visent le tout pour d’autres raisons. Et où tout se ressemble au point que plus rien ne se voit.

Mais j'ai le sentiment de très bien comprendre votre préoccupation.

Quand je vous demande d’envisager de parler, en amont, six mois avant leur sortie en salles de certains films, comme vous l’avez fait par hasard, dites-vous, pour le Wang Bing, juste parce que vous ne pensiez pas qu’il allait sortir et que du coup vous n’avez pas pu ne pas en parler tellement vous teniez à ce film, c’est parce que c’est cela aussi qui a déclenché l’envie de voir ce film chez un certain nombre de lecteurs. Dont un certain nombre de gens comme nous qui sommes non seulement lecteurs mais aussi à notre tour enclencheurs. Autrement dit, c’est cela qui a permis que le film soit montré, ou en tout cas qui y a fortement contribué.

Encore une fois, je vous parle de quelques films par an, que vous ne tirez pas du lot, puisqu’ils sont déjà extraits d’emblée par le marché qui n’en veut pas. Je ne suis pas en train de vous dire qu’il s’agit de remettre en cause un système. Je ne suis pas en train de vous dire qu’il ne faut plus de notules d’actualités et qu’il ne faudrait plus faire que de la critique en amont qui extrairaient certains films du lot et point barre !

Thierry Lounas : De fait, Catherine, j’ai le sentiment que ce que tu préconises se fait. A travers les compte-rendus de festivals…

Catherine Bailhache : Non, je ne suis pas d’accord.

Thierry Lounas : … A travers les compte-rendus de festivals… Prenons le film d’Albert, on en a parlé. Les Cahiers en ont parlé au moment de Cannes. Il y a eu plusieurs pages à cette occasion-là, ce qui a permis aussi de préparer la sortie. Pour les films importants, il y a toujours plusieurs coups dans une revue telle que les Cahiers. Donc les cinq films dont tu parles existent de plusieurs manières et à plusieurs périodes souvent dans les Cahiers. Et c’est peut-être suffisant.

Après, moi je comprends qu’Emmanuel ne souhaite pas trancher la question du divertissement majoritaire et d’une culture minoritaire. Je ne sais pas si c’est aux critiques de trancher cela…