lundi 27 août 2007

Lycéeens et apprentis au cinéma dans les Pays-de-la-Loire : rencontrer des œuvres singulières

Catherine Bailhache : … Je vais passer la parole à Christophe Caudéran, coordinateur du dispositif d’éducation à l’image Lycéens au cinéma dans les Pays de la Loire, région dont les principales villes sont Angers, Laval, La Roche/Yon, Le Mans, Nantes. On pourrait se dire : mais que fait-il ici ? D'ailleurs, lui-même, lorsque je l’ai appelé m'a demandé pourquoi je l’invitais à intervenir, en Haute-Normandie de surcroît, dans le cadre d’une réflexion autour de l’accompagnement critique des films ? C'est Thierry Lounas qui a suggéré de le faire, c’était pertinent.

Christophe a en effet une particularité assez importante à nos yeux. Certes, il est coordinateur de Lycéens au cinéma, c'est-à-dire qu'il organise comme partout ailleurs, la mise en place classique du dispositif Lycéens au cinéma. Mais, en plus, on va même dire en marge, il a conduit un certain nombre d’expériences originales, parmi lesquelles deux auxquelles nous nous sommes trouvés associés les uns et les autres.

La première a eu lieu il y a quelques années de cela. Lors d’un prévisionnement que nous organisions à l’attention notamment des exploitants de l’ACOR, Christophe est venu voir le film de Wang Bing A l'Ouest des rails. Le film dure neuf heures, c’est un documentaire, son support de diffusion est en vidéo. Le jour où il l’a vu, le film n’était pas sorti en France, son distributeur prévoyait de le faire quelques mois plus tard. D’ailleurs, il l’a vu dans l’état où il se trouvait, c’est-à-dire sous-titré en anglais…

Et en sortant, il m'a annoncé vouloir travailler sur ce film dans le cadre de Lycéens au cinéma. Cela signifiait donc se situer complètement hors-cadre : d'abord, parce que l'on se trouve face à un film qui lui-même, du point de vue de sa forme, échappe à tout ce qu’on peut connaître à ce moment-là ; les enseignants, sans parler des élèves, n’y sont pas du tout préparés ; il n'a pas vocation particulière à se retrouver dans Lycéens au cinéma, ne serait-ce que par sa durée, son support ; surtout, il n'est même pas sorti en salles. Or, Lycéens au cinéma n'intervient normalement que sur des films qui ont 2 ans de vie en salles. On pourrait donc se dire qu'il est fou, c'est d'ailleurs ce que je me suis dit... Mais la vérité, c'est que non seulement il l'a fait, mais il l'a fait avec l'accord de l'ensemble des personnes qui participent au dispositif dans les Pays-de-la-Loire, c'est-à-dire que le rectorat lui-même a donné son aval, au point d'envoyer, convaincu par Christophe, un courrier aux proviseurs pour leur expliquer qu’il fallait favoriser la participation des enseignants et de leurs élèves à cette expérience. Vu le film, ça ne pouvait concerner que quelques classes, préparées à cela. Il faut savoir jusqu’où c’est allé : à un moment donné, le film a été projeté dans un lycée de Mayenne devant 450 élèves !

Cela signifie que Christophe Caudéran sort de son rôle habituel ; en même temps il le tient. Car, en faisant cela, il continue à montrer des films. Mais ce sont des films particuliers, il sensibilise à leur existence un certain nombre d'enseignants, et d’élèves par là-même. Et cela, nous pensons que ça a un rapport avec les questions que l'on soulève aujourd'hui autour du thème de la critique. Avec la question sous-jacente : dans ce type d’expérience, sortir de ce que l'on imagine être son rôle, est-ce tant que cela sortir de son rôle ?

Quand vous-même (s'adressant aux critiques présents) allez dans les salles ou participez à des séminaires de réflexion sur la critique, cela répond sans doute pour vous à quelque chose qui est de l'ordre de sortir de votre pratique habituelle pour vous interroger autrement. De la même manière que vous dites, Emmanuel, qu'il faut savoir s'arrêter et revenir sur l'Histoire. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de voir qu'on peut le faire aussi sur des films comme A l'Ouest des rails, ces films qui précisément, s'il n'y a pas de déploiement en amont, sur le moment et même après, autour d'eux, n'auront pas d'écho dans la tête des spectateurs.

Je précise et je laisse la parole à Christophe que le deuxième film sur lequel il est intervenu depuis avec nous ainsi qu’avec Thierry Lounas, est Honor de Cavalleria ; Lycéens au cinéma des Pays-de-la-Loire a travaillé et travaille encore sur ce film sorti en mars dernier.
Christophe, je te laisse peut-être réagir...

Christophe Caudéran (en riant) : Tu as tout dit...

Catherine Bailhache : Parles-en avec ta propre sensibilité, ce sera mieux encore !

Christophe Caudéran : Je pense que ce qui nous rapproche les uns les autres de toute façon, c’est l'envie de montrer, soutenir des films, et aussi de s'intéresser au public. En tous cas pour moi, c'est ma mission, je travaille avec... enfin pas directement, puisque je travaille vers les enseignants. Mais le dispositif concerne 12 500 élèves, dans les Pays-de-la-Loire. Ce qui m'intéresse profondémment, au-delà du dispositif de base, c'est de mener des expériences et de permettre à certains élèves de découvrir des œuvres. Je pense que c'est une posture assez difficile à avoir aujourd'hui car tout est formaté, le cinéma se consomme dans la plupart des cas. Peut-être que moi, je peux permettre à quelques élèves d'être confrontés à une œuvre, de vivre une véritable expérience. C'est cela qui me motive. Ca se fait avec des œuvres qui m'ont touché moi-même, m'ont bouleversé. Ce qui me gouverne alors, c'est l'envie, bien que sortant de mon strict rôle, comme l’a souligné Catherine, de créer des situations de rencontres. Je pense que ces petites graines ont une valeur et qu'un jour peut-être elles germeront... Voilà, je ne sais que dire de plus, tu as dit beaucoup déjà sur ce que je fais...

Catherine Bailhache : Et ton rapport à la critique ?

Christophe Caudéran : Je partage certains des points de vue d'Albert. Dans ma propre pratique, je ne vais pas à la critique avant d'avoir vu les films. Je préfère venir vers la critique après, comme un moyen de nourrir ma propre pensée, ma propre perception, ou émotion. J'aurais tendance à préserver mes émotions d'une critique que j'aurais lue avant, qui pourrait m'influencer.