vendredi 3 août 2007

Qui prescrit dans les grandes villes de province (par exemple ici à Rouen) ?

Anne-Sophie Letourneur : Avant, dans la presse régionale, il y avait des critiques, sur les spectacles qui étaient programmés en région, peut-être pas pour le cinéma…

Christophe Kantcheff : Oui. Roger Balavoine a longtemps été celui-là pour Paris-Normandie, mais depuis qu’il a pris se retrite il n’a pas été remplacé, les Rouennais ici présents le savent mieux que moi... Encore une fois, les premiers responsables de la situation présente sont les décideurs, les propriétaires de journaux et les patrons de presse. Ensuite, bien entendu, entre en jeu la responsabilité individuelle du journaliste. Mais quand vous avez vingt-cinq ans aujourd'hui et que vous voulez travailler dans cette profession, une profession qui compte beaucoup de chômeurs et de travailleurs très partiels, vous avez les pétoches et êtes enclin à suivre « l’idéologie dominante ». C'est un peu l'histoire de Violence des échanges en milieu tempéré, le film de Jean-Marc Moutout.

Evelyne Wicky : Vous dites : « Ce n'est plus comme c'était ! » Bon, OK. Moi, je ne vais pas dire que je trouve génial que ce ne soit plus comme c'était, mais, en même temps, on prend acte et on continue ! Quand vous dites concernant les journalistes : « C'est Violence des échanges en milieu tempéré ». Oui, on vit tous des situations similaires, pas exactement les mêmes mais très semblables, mais on cherche quand même à savoir comment on peut continuer !

Christophe Kantcheff : Effectivement, c’est pourquoi il est indispensable de trouver des « stratégies de résistance », pour reprendre une expression de Pierre Bourdieu. Cela consiste à incorporer les contraintes qui pèsent sur chacun de nous, dans quelque milieu qu’il soit, pour se défaire autant que possible des illusions, des croyances, des lieux communs en déconstruisant les rapports et les idéologies à l’œuvre, au sein d’une entreprise de presse par exemple. Ce n’est qu’une fois ce « travail » réalisé que des stratégies de résistance – modestes mais utiles – peuvent être mises en place. C’est ce que, à ma mesure, j’aimerais faire partager à des étudiants en journalisme, et plus largement à des citoyens. Je parle de citoyens parce que la critique de cinéma et le cinéma lui-même ne sont pas, à mon sens, à considérer uniquement en eux-mêmes, mais en interaction avec l’ensemble de la société, avec le monde de l’économie… Bref, toutes ces questions sont très politiques.