lundi 27 août 2007

Un discours à réajuster

Emmanuel Burdeau : Bonjour à tous. Les questions soulevées par Catherine Bailhache sont, disons-le, « énormes ». Cette réflexion, ouverte à Angers et reprise ici, ne fait que commencer, elle a encore un très long chemin devant elle.

Les critiques éprouvent en effet, de plus en plus, le besoin d'aller dans les salles, à la rencontre du public, soit pour animer les classiques débats d'après-projection – qui sont toujours des moments extrêmement précieux –, soit pour mettre en place des choses plus originales. Par exemple des séances de travail, comme ici, sans prendre nécessairement le prétexte d'une projection. Ou encore, montrer des extraits, pourquoi pas en DVD, et en discuter avec les spectateurs pendant une heure et demie. Tout cela est très important aujourd’hui. Cela l’était moins il y a une dizaine d'années. Il y a là sans doute un changement. On connaît l’explication : les films dits « fragiles » ont de plus en plus de mal à exister ; on éprouve donc de plus en plus le besoin d'aller les accompagner, le plus loin possible.

C’est le côté des films. Du côté de la critique, il se passe ceci : elle n'arrive plus à avoir un discours adéquat sur ces films dits « fragiles ». Elle ne trouve plus le ton, ou le bon volume, pour simplement donner envie à quelques spectateurs d'aller voir un film, par exemple Honor de Cavalleria. Cela n’enlève rien à ce qu’a dit Albert Serra : le discours critique a aussi, par ailleurs, son autonomie et son intégrité, sa beauté propre, il n’est pas simplement une incitation à aller y voir.

Essayons d’être plus précis. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, et qu’on dit parfois, la critique n'a pas du tout démissionné quant aux films « fragiles ». Un quotidien commme Libération ou le Monde, un hebdomadaire comme les Inrockuptibles, des revues mensuelles comme les Cahiers, continuent à défendre des films dont on ne tire que quelques copies. Le problème, c’est que ça ne marche plus. A quand cela remonte-t-il ? Difficile à dire. Une chose est sûre, cependant : les discours doivent être réajustés.

Cette année, à Cannes – Christophe Kantcheff pourra en parler, car il le fait depuis plusieurs années –, j’ai eu envie de tenir un journal sur le festival, en direct sur le site internet des Cahiers du cinéma. Essayer pour une fois, d’écrire au fil de la plume. Les premiers jours, sur Word, dans la chambre d’hôtel. Ensuite, dans un internet café, dans le corps du mail, aussi près que possible de la fermeture, pour augmenter la contrainte. Cela a donne lieu à des notes, davantage qu’à des textes. C’était une expérience : que se passe-t-il quand on doit écrire à chaud dans un endroit comme Cannes ? Il y a beaucoup de paroles contradictoires sur les films ; beaucoup de réceptions contradictoires ; on peut sortir enthousiaste d'une projection à huit heures trente enthousiaste, et s'apercevoir à dix-sept heures qu'on est le seul à avoir aimé le film ; se sentir un peu bête ou trouver au contraire que c’est cela, la beauté de l’endroit.

Manifestement, plus d’un lecteur des Cahiers a apprécié beaucoup cette sorte d’accès plus direct à la critique, à ses outils, à ses possibles incertitudes et contradictions. Dire une chose sur un film le lundi, puis une autre le mardi : pas inverse, mais faisant entrer en jeu d'autres arguments, d'autres types de paroles, une autre temporalité qui modifie le regard et l'évaluation.

De tout cela on pourrait conclure, de manière un peu désespérée : le discours critique n'a jamais été aussi solitaire qu’aujourd'hui. En même temps, il y a une grande curiosité, une grande envie de voir ce discours s’ouvrir, se partager. me semble percevoir une véritable curiosité pour que ce discours puisse se rouvrir.