lundi 27 août 2007

Perte de légitimité et défiance

Il y a un véritable problème de légitimation de la critique. Non seulement elle a perdu son pouvoir, c'est le moins que l'on puisse dire, pouvoir dont il faudrait d’ailleurs examiner la nature, car, à mes yeux, il ne s’agit pas seulement de son « pouvoir de prescription », qui généralement est celui dont on parle, et qui, à dire vrai, est celui qui m’intéresse le moins. Mais elle suscite effectivement de la défiance. Notamment parce qu’elle a été vaincue – et là j'enfonce une porte ouverte, mais il est parfois indispensable de redire certaines évidences – par le poids du discours promotionnel et celui de la communication. On a pu mesurer cette défaite, par exemple, avec l'invasion, dans les pages cinéma et livres, de petites figurines ou d’étoiles ou de signalétiques de toutes sortes, destinées à valider ou non les œuvres, exactement comme dans Que Choisir. La critique est devenue un indicateur ou un guide de consommation culturelle. Le critique, ou le journaliste (car il faudrait aussi s’arrêter sur cette distinction), use du discours publicitaire, voire de la phraséologie boursière. Les petites phrases des journalistes sont reprises dans les placards publicitaires, en symbiose complète avec la démarche promotionnelle. Il est même possible, sans que ce soit à dessein, mais inconsciemment, que certaines expressions laudatives soient choisies afin d’être utilisées comme slogans. Car il faut bien prendre conscience que ces « reprises » publicitaires finissent par flatter leurs auteurs, parce qu’elles deviennent un signe de reconnaissance, reconnaissance qui ne se manifeste plus par ailleurs (c’est-à-dire, par exemple, au sein même des journaux). Le fait d'être poussé à dire : « J'aime » / « J’aime pas » entre aussi dans le mode promotionnel – et là, je rejoins à nouveau ce qu’Emmanuel disait à Angers en 2007. Bref, petit à petit, la critique et la communication n'ont plus fait qu'un. Comment, devant cet état de fait, les lecteurs ou les spectateurs pourraient-ils avoir conservé la même considération dans la critique ? Cela dit, il y a bien d'autres raisons qui expliquent la défiance, comme l’accusation de connivence, par exemple, connivence des critiques avec les gens du milieu du cinéma, les réalisateurs, les attachés presse....

Catherine Bailhache : Tu veux dire ? Connivence entre la presse... ou l'attaché presse qui connaît bien...

Christophe Kantcheff : ... Oui, le copinage… C’est une suspicion qui pèse sur les critiques, et qui est plus ou moins justifiée, mais qui est souvent exprimée par le public.

Emmanuel Burdeau estimait tout à l’heure qu’il y avait « un discours à réajuster ». Vraisemblablement. Je ne sais si nous entendons la même chose par ces termes, mais en tout cas, sur les termes mêmes, nous sommes d’accord. Il me semble en effet qu'il faut réussir à sortir de ce discours de « l’ère communicationnaire ». La tâche est ardue, parce que ce discours est aussi exigé par les directeurs de journaux et rédacteurs en chef, qui estiment que la critique ennuie et attendent de leurs journalistes des articles d’humeur et du « J'aime » / « J'aime pas » consumériste.