vendredi 10 août 2007

Le cinéma populaire

Emmanuel Burdeau : Dire qu’on ne tranche pas, c’est déjà dire quelque chose… Ce n’est pas rien. Certains d’entre nous reviennent de Cannes. Certains films qui y ont été montrés étaient réalisés par des cinéastes qui croient encore à la possibilité de faire des films qui servent à tout le monde. C’est le cas de Boulevard de la mort de Quention Tarantino. Est-ce le cas de Belà Tarr avec l’Homme de Londres, de Gus Van Sant avec Paranoid Park ? Pas sûr.

Thierry Lounas : Quant à nous, nous ne tranchons pas la question. Malgré tout, certains s’en chargent. En ce moment, il y a un débat assez compliqué sur le cinéma populaire. Beaucoup aujourd’hui défendent le cinéma comme un art populaire et souhaitent que les crédits, que l’attention se portent uniquement sur les films art et essai porteurs qui incarnent à leurs yeux le cinéma d’auteur populaire. Aujourd’hui, les « petits » films n’ont plus le droit d’exister au nom de cette idée que le cinéma doit rester un divertissement populaire, y compris dans sa frange la plus auteuriste. C’est ce qui est arrivé au film d’Albert Serra, ainsi qu’à d’autres films. Qui va les défendre pour qu’ils aient le droit d’exister au même titre que les autres ?

En même temps, moi je ne défendrais pas non plus une culture minoritaire absolue qui consisterait à dire que les films devraient être coupés de leur public, ou à affirmer que c’est dans l’auteurisme pur et dans les petits films que résiderait ce qui se fait de mieux !

C’est très problématique. On doit souhaiter qu’un cinéaste ne tranche pas le débat pour lui-même, qu’il cherche à faire son film pour le plus grand nombre. Straub disait toujours qu’il faisait ses films pour les ouvriers et les paysans. Et on connait des grands films populaires qui n’étaient jamais vus que par cinq mille ou par dix mille personnes. Moi je pense qu’on peut faire un grand film populaire vu par cinq mille personnes. Mais aujourd’hui, il y a des gens qui considèrent finalement que le nombre d’entrées, c’est ce qui définit ou pas un film populaire. Et ça c’est un vrai problème ! Il faudrait définir ce que c’est que le populaire aujourd’hui. Je pense qu’une idéologie un peu poujadiste se développe autour de cette idée-là, parce que le cinéma est en crise industrielle – il y a énormément de films, etc.

Il ne faut pas trancher. Mais, d’une certaine manière, comme citoyen et non plus comme critique, j’ai envie de dire : « Attendez ! si vous tranchez de ce côté-là, nous on va trancher de l’autre ! » Parce qu’à un moment, il va bien falloir que quelqu’un prenne position aussi pour un certain nombre de films, que ce soit ceux de Sokourov, Costa, Suha, Serra, etc.

Aujourd’hui, certains films se réalisent avec de petits moyens qui proportionnellement ne perdent pas tant d’argent (le film d’Albert Serra perd beaucoup moins d’argent que certains blockbusters qui en perdent beaucoup). Aujourd’hui, le problème qui est posé n’est plus celui de la rentabilité ou de l’intérêt artistique d’un film, le problème est devenu de savoir s’il est petit ou gros !!! Et ça c’est une valeur industrielle. Il y a une haine du petit budget. On préfère perdre beaucoup d’argent sur un gros budget qu’en gagner sur un petit budget. Ça, c’est une grande question actuelle. Ça va au-delà du cinéma, évidemment.


Dans l’assemblée : Bonjour. Je m’appelle Evelyne Wicky. Je m’occupe d’une salle de cinéma située dans le Finistère, le Dauphin à Plougonvelin, bourg de 3 000 habitants, dans lequel on a présenté Honor de Cavalleria le mois dernier.

Je voudrais faire d’abord une remarque concernant votre discussion, Catherine Bailhache et Emmanuel Burdeau. La salle dont je parle, on y rencontre le même problème, mais à l’inverse, ce qui me plaît d’ailleurs énormément. C’est-à-dire que les gens qui viennent voir Honor de Cavalleria font partie de ce qu’on appelle le tout-venant. La veille, ils peuvent avoir vu Spiderman III. Pour ma part (je vous fais part de mon expérience personnelle), je n’hésite pas à m’adresser aux spectateurs, par exemple dans les programmes envoyés aux adhérents je signe des éditos, c’est-à-dire que je dis : « C’est moi qui vous demande de venir. » Ça va jusque là et c’est cette relation-là qui m’intéresse.

Lors de mes recherches d’emploi, il est arrivé qu’on me propose d’être programmatrice dans certains cinémas en me disant : « C’est un cinéma de recherche, tout ça » (vous voyez ce que je veux dire)… Bon, bien sûr, j’y allais, mais en me disant « Ca ne m’intéresse pas. » Ça ne m’intéresse pas, parce que du coup, je sais que je vais me retrouver avec les… enfin, ils savent que ce film-là il est bon, et que celui-là, ce n’est pas la peine, Spiderman III justement, il faut absolument le passer en VO parce que sinon… etc. Bon. Cette remarque parce qu’on est… l’inverse. Ça m’intéresse. C’est l’autre côté de la crêpe mais c’est toujours la même crêpe.

Maintenant, par rapport à ce que dit Catherine Bailhache. Faire avancer, en amont, quelques films. Je reprends un exemple. L’ACOR envoie (rires) des papiers à ses adhérents régulièrement. Depuis le mois de janvier , dans la marge, il y avait toujours des photos de Honor de Cavalleria. Moi je me dis « Tiens ! » (et puis je connais un petit peu Catherine). Au bout de la troisième fois, je me dis : « Ah ! c’est bizarre, ça. Elle les remet tout le temps. » Mais photos, photos, pas grand baratin. Photos. Ça a fait que lorsque je suis allée dans un festival où il était montré, j’ai sauté sur le film, je suis allée le voir et puis bon, j’ai compris. Donc, c’était vraiment en amont, ça se passe depuis janvier pour une sortie en salles le 15 mars.

Je suis totalement dans l’idée qu’il n’y a pas de séparation à faire entre les films. C’est grave de faire une séparation. Mais, Emmanuel Burdeau, vous avez bien dit : « Un film est à considérer par rapport aux autres films ». Et, pour prendre Honor de Cavalleria, ce qui m’intéresse, quand j’en parle aux gens que ce soit avant de le montrer ou ensuite… c’est qu’en présentant ce film, je veux parler de tout un tas de films. Et pas forcément du film de Costa. De tout un tas de films qui sont dans celui d’Albert Serra. Voilà. C’est vous qui parlez de cette idée, et je me demande pourquoi au nom de cela ne pouvez-vous pas en choisir quelques uns – pas forcément sur les critères du « J’aime » / « J’aime pas ».–, en vous disant : « Celui-ci, il va parler d’autres films ; donc on peut l’amener en amont. »