lundi 27 août 2007

Sortir de l'évaluation ?

Christophe Kantcheff : Il y a donc un discours à (re)conquérir, un discours qui parviendrait à rendre l'expérience de la vision d'un film en une parole argumentée et interprétative. Tenter de revenir à un discours de la sorte est un combat de tous les instants dans un journal, c'est extrêmement compliqué.

Catherine Bailhache : Oui. Que ce soit un combat, je pense qu’on peut être un certain nombre à le deviner.

Néanmoins dans Politis par exemple, ce que j'apprécie dans la manière dont la critique est menée en matière de cinéma, c'est précisémment cela, ce combat que je devine aussi… Quand je lis une critique de Politis j'ai donc l'impression nette que j'ai affaire à autre chose que ce que tu dénonces-là. Et je pense qu'aux Cahiers, de manière globale, le combat existe sûrement aussi, enfin je n'en sais rien. En tous cas, ce qui y est fait – je vais peut-être mettre de côté, mais ça n'engage que moi, la partie notule sur les films–, représente un travail échappant totalement à ce que tu dénonces Christophe.

Or, j'ai le sentiment que malgré cela, ce que relevait, et tentait de décrire Emmanuel à Angers est juste : cette impression qu'à chaque fois qu'un film réunit « sur sa tête » une somme de vraies critiques, à plus forte raison si elles sont louangeuses, ajoutées à de nombreuses sélections et prix dans les festivals, associés à leur tour à une batterie de soutiens de toute sorte, toutes ces choses qui donnent statisfecit au film en question, et bien chaque fois pourtant, c'est comme si résonnait alors aux oreilles du spectateur potentiel une petite musique identifiable entre toutes… et paradoxalement contre-productive !

Christophe Kantcheff : Nous somme pris dans un ensemble. Les Cahiers du cinéma et Politis ne sont pas isolés de l’ensemble du paysage médiatique.

Catherine Bailhache : Donc ça voudrait dire que vous êtes pris au piège de la masse de ce qui vous entoure ? Que, quoi que vous fassiez, même si vous menez ce combat-là, même si vous le réussissez en ce qui concerne la partie rédactionelle elle-même, – car vous parvenez à rédiger ce que vous voulez, et c’est bien autre chose que de la communication ou de la publicité –, malgré tout, à cause du paysage général, on ne va pas vous identifier pour autant ? C'est cela ?

Christophe Kantcheff : Globalement, oui. Après, par rapport à ce que tu disais précédemment, il faudrait entrer dans le détail pour nuancer... C'est un peu compliqué de parler de...

Catherine Bailhache : ... de soi-même ?

Christophe Kantcheff : Non, non, au contraire, c'est intéressant d'avoir une démarche réflexive. Ce que je veux dire, c'est que les Cahiers du Cinéma et Politis, ce n'est pas tout à fait la même chose. Ainsi, si je prends l’exemple de la manière dont nous avons traité le film d’Albert Serra : il a fait l’objet d’un article d’un peu plus de 3.000 signes , c’est-à-dire une longueur considérée comme moyenne dans un hebdo, mais qui, pour élaborer une argumentation critique, s’avère relativement courte.

Catherine Bailhache : Ce n'est pas la question, c'est ce que tu as écrit qui compte...

Christophe Kantcheff : Mais si, c'est la question ! Il me semble qu’il faut distinguer le travail d’un hebdomadaire, davantage requis par les nécessités du journalisme, de celui d’un mensuel, qui plus est spécialisé. Mais, par ailleurs, à Politis, je suis relativement à l’abri de la pression économique et de la logique promotionnelle. D’autant que la culture, dans un journal comme celui-ci où l’information politique est primordiale, reste secondaire dans ses enjeux. Ce qui explique en grande partie pourquoi je bénéficie d’une assez grande liberté dans mes choix et dans mes modes de traitement. Tout en étant tenu, je le répète, par un certain nombre de contraintes.

Mais, cela dit, si je suis présenté comme critique à des personnes qui ne connaissent pas précisément Politis, ma parole, elle, est tout simplement prise comme celle d'un type qui travaille dans les médias. Et dès lors, elle doit se confronter à « l’ère du soupçon ».

Catherine Bailhache : Donc quoi que vous fassiez, vous êtes dans l'ère du soupçon, c'est ce que vous ressentez ?

(acquiescements)

… Oui d'accord.

(silence)

Bon…