lundi 27 août 2007

Solitude et menaces

Christophe Kantcheff : D'une certaine façon, le fait que nous ne nous connaissions pas est un peu un symptôme, alors qu'il est clair que nous travaillons à peu près sur le même sujet. Mais chacun de notre côté. Voilà le premier point commun que je vois entre nous autour de cette table : la critique, et l’état dans lequel elle se trouve, nous importe. En fait, je me suis progressivement rendu compte que le besoin de réflexion sur la critique, sans être partagé par tous les « praticiens », existait. Seulement, les lieux ou les instances où cette réflexion peut ou pourrait s’accomplir sont rares. Je ne vais pas émettre une longue plainte, un samedi après-midi à Mont-Saint-Aignan, sur les souffrances imposées aux critiques – ou qu’ils s’imposent à eux-mêmes. Il n’empêche : leurs interrogations, leurs doutes, leurs inquiétudes, ils les garde le plus souvent dans leur for intérieur.

C’est pourquoi, il y a trois ans, avec un ami écrivain et critique, Bertrand Leclair, j’ai ressenti la nécessité de mettre en place un séminaire sur la critique. Le séminaire s’est déroulé pendant deux ans (2005-2007) à l’Institut français de presse, parce que nous souhaitions nous adresser à des étudiants en journalisme, précisément parce que la critique dans les médias est extrêmement menacée (le séminaire aura lieu désormais à l’École des hautes études en sciences sociales). La crise très importante que traverse la presse en est une des raisons. Les contraintes économiques et financières s’accentuent, ce qui transforme progressivement le travail des journalistes.

Ce séminaire concerne en premier lieu la critique littéraire, mais nous nous sommes rapidement rendu compte que les problématiques traversaient de la même façon, avec des singularités bien sûr, les critiques des autres domaines artistiques. Ce constat était d’autant moins difficile à faire en ce qui me concerne que j’exerce et la critique cinéma et la critique littéraire.

Nous avons donc invité des critiques (mais aussi des écrivains, des chercheurs…), d’abord à réfléchir avec nous aux formes que pouvaient prendre ce séminaire, puis à y intervenir. Les critiques qui nous ont rejoints dès le début (comme Patrick Kéchichian, du Monde, ou Alain Nicolas, de l’Humanité), ont d’emblée témoigné du fait que ce séminaire correspondait à un besoin qu’ils ressentaient depuis longtemps. Dans toutes les rédactions, cela se passe de la même façon : les rédacteurs fournissent leurs papiers, mais les échanges autour des livres sont plutôt rares. Plus rares encore sont les discussions sur les outils actuels de la critique, et sur la manière dont chacun s’y prend pour l’exercer ; non seulement comment il procède à partir de la lecture des textes, mais aussi comment il pratique avec tout ce qui environne la lecture et l’écriture, qui ne sont qu’une partie de son activité… Bref, il n’est pas inapproprié de parler de solitude et d’une certaine souffrance. Je reprends ce terme, car Emmanuel Burdeau a employé une expression comme « relative impuissance » ou prononcé cette phrase : « Ça ne fonctionne plus ». Il s’est exprimé à Angers de la même façon. Dans la transcription que j’ai consultée sur internet, j'ai relevé cette phrase : « La recommandation critique finit par créer de la défiance ». Ce n'est même plus de l'impuissance, mais de la défiance. C'est encore pire !